Dans les années 60, la vie de milliers de Réunionnaises a été bouleversée à jamais. C’est l’affaire oubliée des avortements et stérilisations forcés de la clinique de Saint-Benoît à La Réunion.
“Il y a là, une violation des droits de ces femmes qui sont ravalées au statut de sous-êtres.”, s’indigne Raoul Lucas, historien.
Alors qu'en France, l'IVG est encore interdite, à La Réunion, des avortements et stérilisations se pratiquent à la chaîne. Et bien souvent, sans le consentement des patientes… Ces femmes étaient envoyées à la clinique de Saint-Benoît pour subir une opération chirurgicale et lorsqu’elle se réveillait elle réalisait qu’elles avaient été avortées et souvent stérilisées sans le savoir.
Les interventions étaient enregistrées sous un autre nom pour que la sécurité sociale les rembourse. Les médecins, comme les cliniques, se sont fait des fortunes sur le ventre des femmes réunionnaises. “Ils maquillaient ces avortements pour pouvoir, sous des appellations diverses, obtenir des remboursements des actes chirurgicaux qu’ils faisaient à la clinique de Saint-Benoît et qui portaient sur des sommes phénoménales”, explique Raoul Lucas.
Une politique de limitation des naissances
Derrière ces actes illégaux et frauduleux, se cache une véritable politique antinataliste. A l’époque La Réunion est en proie à la pauvreté, l’analphabétisme, et à une surpopulation. ”Les conditions de santé s’améliorant, les naissances vont s’envoler. Il y a des familles de 7,8,9 enfants”, se souvient Raoul Lucas, 17 ans au moment des faits. Pour faire face à cette démocratie galopante, une politique de limitation des naissances est mise en place, “cela se manifeste par toutes sortes d’affiches, par toutes sortes d’émissions.” Les campagnes publicitaires sont aberrantes. On retrouve des slogans tels que : “Famille peu nombreuse, famille heureuse, “Maman ! 2, ça suffit”, “Un enfant ça va, deux ça va encore, trois : assez ça suffit !”.
“Toutes ces femmes étaient écrasées par la situation”
En 1970, le scandale est révélé par le docteur Serveaux. Il est appelé au chevet d’une jeune fille qui manque de succomber à un curetage mal fait. “Vous avez un médecin qui est un notable important, un catholique pratiquant qui ne va pas se laisser influencer et ne va pas céder aux pressions qui vont agir sur lui.” Il porte plainte. La presse s’empare de l’affaire.
Après plusieurs mois d’enquête, le procès s’ouvre en février 1971 au tribunal correctionnel de Saint-Denis. Pour la première fois dans l’histoire de La Réunion, des femmes pauvres portent plainte contre des hommes puissants. Raoul Lucas, présent au procès se souvient : ”Il y avait là toutes ces femmes qui étaient écrasées par la situation qui était la leur, qui avait des difficultés à s’exprimer sur des questions très intimes.”
Le 5 mars 1971, le verdict tombe. Les peines sont dérisoires comparées aux préjudices subis. Les coupables ne sont que très légèrement punis, voire relaxés. David Moreau, responsable de la clinique, a été jugé civilement responsable, mais ne reçoit aucune peine. La fraude à la sécurité sociale n’a jamais été jugée.
50 ans après les faits, les victimes n’ont jamais obtenu réparation. Aucune femme n’a été indemnisée. Seuls 2 maris ont obtenu quelques maigres dommages, pour la perte des fœtus portés par leurs femmes. Des femmes dépossédées de leurs corps, et réduites au silence.