Grand Mère Kal, kel hèr i lé ?

Postée le 29/10/2021

Annie Grondin, conteuse, nous parle de nos peurs, des femmes dans les mythes créoles et nous raconte une des légendes les plus populaires de notre île : Grand Mère Kal, et des répercussions sur nos peurs.

“Quand on était petit, on chantait : ‘Grand Mère Kal, kel heure i lé ? - Une heure…’ C’était un jeu de l’enfance. Après, la légende de Grand Mère Kal a beaucoup de variantes. Chacun fait à sa sauce. J’ai une version où j’ai fait un petit ‘medley’, pour voir comment Grand Mère Kal se transforme. Qu’est-ce qui fait qu’elle devienne méchante. D’après les sources, Grand Mère Kal était une esclave et elle connaissait les plantes. Quand je raconte l’histoire de Grand Mère Kal, j’aime bien dire qu’elle a sauvé un enfant parce qu’elle était tisaneuse. C’est comme ça qu’elle a obtenu sa liberté. Une fois libre, elle est partie juste à côté de Grands-Bois, à côté de La Cafrine. Et ça, les gens du coin le disent, Grand Mère Kal a vécu dans le Bassin 18. Après, elle a eu une fille, une petite-fille qui s'appelait Ti Kala. Ti Kala était un peu différente, elle était un petit peu ‘bébête’. Un jour, elle est partie jouer avec d’autres enfants, et ils l’ont frappée. Ti Kala ne comprenait pas et quand elle est partie voir sa grand-mère, elle est tombée de la falaise. Et là, c’est à cause de la douleur que Grand Mère Kal s’est transformée. Toutes les plantes dont elle se servait pour guérir les gens, elle s’en est servie pour jeter des sorts. Elle a commencé à faire des potions, de la sorcellerie malgache. C’est là qu’elle s’est transformée. Et puis tout le monde a commencé à parler sur elle, ils lançaient des rumeurs… Elle ne supportait pas et elle s’est suicidée dans le Bassin 18. Dans le bassin, il y a un grand courant. Souvent il y a des gens qui se noient dans le bassin, et bien c’est Grand Mère Kal qui vous attrape le pied pour se venger…”

Des figures féminines diabolisées

“Souvent dans les histoires créoles - et là je fais une petite parenthèse - les personnages féminins, c’est des personnages… je veux dire, c’est une mangeuse d’enfants. On a Madame Desbassyns, c’est une esclavagiste, alors qu’il y avait d’autres esclavagistes, mais on ne retient que la femme. Nous n’avons pas d'héroïne féminine dans les histoires.”

“La sœur de Ti Jean, elle se la pète. Elle est jolie, mais elle est punie parce qu’elle est mariée avec Grand Diable. Même, il y a une légende que j’aime beaucoup, qui s’appelle Zoura. Zoura, c’est lié au Bassin du Diable. Pareil, ce sont des femmes, quand elles sont belles, c’est comme si c’était une punition. C’est le diable quoi ! C’est la tentation. On voit bien que le christianisme est passé par là. Il ya toutes ces valeurs là, la femme ne doit pas être jolie, sinon tu dois cacher ce que tu as, les formes etc. Aujourd’hui, on est toujours là-dedans. Le fait de prendre Grand Mère Kal sous cet angle là, cela n’empêche pas qu’elle soit méchante. J’aime bien aussi ce personnage qui fait peur, mais c’est un personnage qui se transforme à cause de la vie, de la méchanceté des gens, finalement. C’est notre histoire qui a installé ces peurs-là. Pas que Grand Mère Kal. On a peur de la mer aussi ! On peut expliquer toutes ces peurs, je veux dire. La peur de l’océan, c’est parce que le peuplement s’est fait par bateau. Dans toutes les conditions épouvantables qu’il y avait à l’époque. Forcément, c’est des trucs qui sont là. Le volcan a été diabolisé. C’est l’enfer sur terre. Tout ça, c’est ancré. Ça fait partie de notre patrimoine génétique, si je peux dire ça. Après, il faut que l’on travaille dessus pour accepter nos peurs, travailler dessus et grandir avec.”