Itinéraire d'un Sri-lankais

Postée le 25/10/2022

Il s’appelle Rusith*, il a 22 ans et vient du Sri-Lanka. En juillet dernier, sa famille l’a forcé à prendre un bateau. Le but : lui sauver la vie. Il nous raconte son histoire.

Comment en êtes-vous arrivé à cette situation ?

On s’est rebellés contre le gouvernement. On a manifesté pendant trois mois, je crois. Il y a eu un gros mouvement de protestation à Colombo, au mois de mai. On voulait faire comprendre aux hommes politiques qu’on n’avait pas besoin d’eux. On voulait un meilleur président. Ce que le président voulait, le gouvernement le faisait.

Le président a demandé à ce que les manifestants soient délogés. Des soldats sont venus. Ils ont fait des tirs de sommation pour nous faire peur.  Des partisans nous ont frappés. L’un des manifestants a été frappé à mort. D’autres ont fini à l’hôpital.

Vous faisiez donc partie des manifestants ?

La situation au Sri Lanka est grave, le pays est très pauvre. Nous n’avons rien. C’est compliqué pour le gaz, l’électricité, l’essence… On s’est opposés au gouvernement. Parmi les manifestants, il n’y avait que des gens ordinaires, des innocents, des êtres humains. Ils nous ont traités comme des animaux. Le jour où l’un des manifestants est mort sous les coups des partisans du gouvernement, tous les Sri-lankais se sont révoltés. C’est là que la population a réellement compris. 

Aviez-vous quelque chose à vous reprocher ?

L’ancien président, Mahinda Rajapaksa, est le frère du nouveau président Gotabaya Rajapaksa (ndlr : c’est Ranil Wickremesinga, élu le 20 juillet, qui est actuellement président par intérim du Sri Lanka. Le président déchu Gotabaya Rajapaksa, s’est exilé en Thaïlande). 

Mahinda Rajapaksa était très proche du ministre Sanath Nishantha. Des manifestants anti-gouvernementaux ont mis le feu à sa maison. Il s’est réfugié dans une autre ville.
Je suis allé sur place et j’ai vu sa maison brûler. J’ai pris une photo et j’ai fait un Facebook live. 

C’est là que des gens, partisans du président, ont pris des captures d’écran de mon Facebook et m’ont présenté comme le leader, comme celui qui avait planifié l’incendie de la maison du ministre. Mon père était aussi connu de ces hommes, il avait participé à un mouvement contre la politique du pays il y a très longtemps. Ils ont contacté mon père pour le menacer, ils ont aussi menacé mon plus jeune frère. Il apparaissait avec moi sur une photo.   

Qu’est-ce qui vous à poussez à quitter le Sri-Lanka ? 

Mon père a pris peur. Il avait peur de moi. Je suis allé à Colombo pendant le mouvement de protestation en juillet, je me faisais discret. Je ne suis pas rentré chez moi à Chilaw pendant une semaine, parce que là-bas, on posait beaucoup de questions à mon sujet. 

Je suis finalement rentré à Chilaw. Mon père m’a dit de ne pas sortir de la maison. Mais je suis jeune, je voulais voir mes amis… Je ne l'ai pas écouté. J’ai eu une altercation avec des partisans du ministre. Là, mon père m’a dit : “J’ai peur de toi. J’ai un ami qui a un bateau qui va bientôt partir, pars avec lui”. J’ai accepté. Je suis parti du Sri-Lanka le 22 juillet.  

Vous montez sur un bateau, direction La Réunion, pouvez-vous nous décrire ce trajet ?

C’était un long et difficile trajet. C’était la première fois que je montais sur un bateau. J’ai eu le mal de mer. J’ai vomi pendant 4 jours. Il y avait de quoi boire et manger sur le bateau, mais pas en quantités suffisantes. Je pense qu’on avait de quoi tenir une vingtaine de jours. On avançait lentement. On a subi une tempête. C’était une grosse tempête avec des vagues impressionnantes. On a eu peur. On a fait du sur-place pendant quatre jours. On a jeté l’encre.  Les gens ont ensuite décidé de mettre le cap vers n’importe quelle île pour pouvoir reprendre des forces. 

Saviez-vous que vous faisiez cap vers Diego Garcia ?

On s’est retrouvés à côté de Diego Garcia. On s’est rapprochés. Dans le même temps, notre bateau a subi des dégâts. On a perdu du carburant. On avait un mécanicien à bord, il a tout tenté pour continuer à faire avancer le bateau. On n’avait plus ni à manger ni à boire. On a vu l’île au loin. Les douanes nous ont approchés. Ils nous ont ramenés au port. On est restés dans le port sur notre bateau endommagé. Des mécaniciens sont venus et ils nous ont dit “vous ne pourrez plus utiliser ce bateau, vous allez devoir rester là”.

Diego Garcia est une base militaire, comment votre venue a été accueillie ?

Ils nous ont proposé à boire et à manger. Nous sommes restés une nuit sur notre bateau, puis les militaires nous ont emmenés dans un camp. Ils ont été gentils. On était le 4e bateau à avoir accosté à Diego Garcia. Il y avait au moins 160, 170 autres Sri-Lankais dans leur camp, dans des tentes militaires. Ça ressemblait un peu à une prison, on ne pouvait aller nulle part. 

Mais vous avez quand même pu repartir, avec un nouveau bateau ?

Ils nous ont donné deux options : soit repartir directement au Sri-Lanka, soit attendre 3 mois pour prendre un avion et peut-être obtenir un visa. Les gars avec nous n’étaient d’accord pour aucune des deux options. On a demandé un bateau et de la nourriture pour repartir. Ils nous ont donné un bateau et nous ont laissés repartir.

Vous avez fait d’autres arrêts avant d’accoster à La Réunion ?

On n’a pas fait d’autres arrêts avant d’arriver à La Réunion, mais arrivés à proximité de Maurice, on a vu des patrouilles aériennes et maritimes. Ils ont pris des photos et ils sont repartis. Ils sont revenus et nous ont demandé où on allait. On a répondu qu’on se dirigeait vers La Réunion. Ils ont pris les documents qu’on nous avait donnés à Diego Garcia, puis sont repartis. On a continué à faire route vers La Réunion. 

Vous êtes aujourd'hui demandeur d'asile, vous avez pris des risques, êtes-vous plus apaisé aujourd'hui ?

Je suis jeune et je pense qu’au Sri Lanka, nous n’avons pas d’avenir. Ici à La Réunion, je ne cause plus de souci à mon père. Les gens, ici, sont gentils. Je me sens libre maintenant. 

 

*Prénom  d’emprunt