Écailliste : métier lontan en voie de disparition

Postée le 01/03/2024

Il est l’un des derniers de l’île à travailler l’écaille de tortue marine. Pierre est écailliste depuis 35 ans, et son métier est en voie de disparition. Avec la convention de Washington, les artisans travaillent à partir d’un stock d’écailles établi avant 1984. Et ce stock est impossible à renouveler. Découvrez ou redécouvrez cet artisanat péi et lontan qui tente de prospérer dans un monde moderne tout en préservant un lien profond avec la nature.

C’est dans son atelier de la Pointe-des-Châteaux que Pierre travaille chaque jour. Avec son apprenti et collègue de longue date Dimitri, c’est dans cet endroit un peu poussiéreux que la magie opère. Bijoux, couteaux, stylos… Il dessine et imagine tout lui-même. Pierre est artisan et son savoir-faire se trouve dans les écailles de tortue.

Le mot écailliste n’existe pas dans le dictionnaire. Pourtant, c’est un métier qui existe dans la vraie vie. Depuis 35 ans, il travaille minutieusement la carapace de ces gros reptiles marins.

C’est plutôt un artisan bijoutier ou coutellier qui travaille l’écaille. Et vu l’évolution et l’avenir de l’écaille, je ne pense pas que ça va exister dans le dictionnaire”, explique Pierre.

En arrivant à La Réunion en 1989, Pierre découvre l’élevage de tortues. La ferme CORAIL était autant un élevage alimentaire qu’artisanal. Elle était placée au même endroit que Kélonia, aujourd’hui. 

1984, un tournant historique

1984 est une date à retenir. La France signe la convention de Washington pour la tortue et s’est donc engagée à ne plus la pêcher et l’utiliser pour sa viande. “C’était une interdiction très stricte. C’est-à-dire que même un animal mort trouvé sur une plage, ou une écaille, il est impossible de récupérer quoi que ce soit. Tout était brûlé, même encore aujourd’hui. Et donc, fin des réapprovisionnements de stock pour l’artisanat d’écailles”, indique Pierre.

Cependant, la France a tout de même reconnu les stocks existants. Les écaillistes de l’île de La Réunion travaillent donc aujourd’hui, et depuis 1989, avec un stock qui ne sera jamais réapprovisionné.

On a eu la chance d’avoir un stock très large. La carapace de tortue est formée d’os et recouverte d’écailles. À l’état brut, on peut travailler la carapace entière pour fabriquer des couteaux, par exemple. Il y a un travail de ponçage, de grattage, de mise à plat, de mise en forme, et à la fin, de polissage pour arriver à quelque chose de propre. Pour les bijoux ou autres plaquages et moulages, on ne travaille qu’avec l’écaille qui a été décollée à l’époque, de son os. L’écaille est déjà travaillée, elle a été trempée dans l’eau bouillante, raclée, poncée et polie”, raconte l’artisan. 

De nombreux défis dans le métier

En tant qu’écailliste, et au niveau des défis, ils ont été multiples et variés. On a été mis sur l’échafaud très souvent pour l’utilisation de l’écaille. On a eu des confrontations avec des écologistes ou avec les pensées des gens. Donc ça, ça a été le plus compliqué. À chaque fois, il faut s’expliquer sur le pourquoi du comment. Je fais des démonstrations à Kélonia, et tous les jours, on a un défilé de personnes, qui à 99% ne savent absolument pas ce qu’il se passe au niveau des 7 espèces de tortues marines dans le monde entier."

Après, en tant qu’artisan, c’est aussi au niveau de la vente puis pour l’écaille, il faut beaucoup de curiosité parce qu' il n’y a pas de formation. Il faut apprendre sur le tas.

Un avenir dans le métier ?

Selon Pierre, l’avenir du métier est limité dans le temps car il n’y a pas de renouvellement de stock. “À partir de ce moment-là, ça aura une fin.”

À La Réunion, les artisans ont eu toutes les matières. Le cuir, l’os, l’écaille dorsale, l’écaille ventrale et elles seront plus ou moins épuisées à un certain moment. Pour lui, ce sera d’ici une dizaine d’années. “On fera de moins en moins de pièces dans l’année, on va vers un artisanat de plus en plus calme. Mais en 1989, on pensait que ça pouvait s'arrêter du jour au lendemain”.

In fine, l’artisanat d’écailles a encore quelques années devant lui, avant de prendre le chemin du “métier lontan” et de rejoindre les autres savoir-faire réunionnais dans les livres d’histoire.